Ep 46 - Des paires de dents

Lark et moi eûmes le même réflexe, un cri du cœur, ou plutôt des tripes : «C’est quoi ça ? ».
DIUUL jouait avec les commandes, avec son air impassible habituel, l’air absorbé.

« Scan terminé, cible biologique identifiée, distance 400 mètres. En attente consignes.», précisa Olga qui affichait maintenant en relief et en couleurs une image particulièrement saisissante d’une gueule gigantesque ouverte sur une rangée de doubles lames de rasoir.

« Un sharkinator !, hurlai-je.
- Mais non, nous ne sommes pas sur AX764-zigma, voyons. D’ailleurs, ce sélachimorphe doté d’un encéphale bien plus primitif utilise principalement la puissance de compression de ses mâchoires. Les mesures gnathodynamométriques l’estiment à 15 tonnes par cm². »
- Distance 95 m. Impact 5 s... »

L’image 3D de la gueule du requin xantonien semblait emplir la cabine. Je n’arrivais pas à détacher mon regard de la caverne béante qui s’ouvrait derrière la barrière d’émail étincelant.
Olga avait réussi à zoomer et à améliorer le rendu de manière impressionnante.
Je fermai les yeux, les mains crispées sur le trou informe qui me servait de siège.

« Cible en éloignement rapide plan horizontal moins 32°, plan vertical 7°, distance 254 m. Fin de la procédure de danger.
- Que s’est-il passé ?, fis-je, non sans un perceptible soulagement.
- Le XANMOO a émis brièvement un train de puissantes décharges électromagnétiques destinées à désorienter cette espèce particulière de sélacien en stimulant ses ampoules de Lorenzini.
- Louée soit Olga ! On ne risque plus rien ? C’est certain ?, m’enquis-je avec un léger doute dans la voix. » La perspective de finir en sandwich ne m’emballait pas vraiment.

Lark qui ne pipait mot, attendait pourtant lui-aussi une réponse de DIUUL. Il avait le teint étrangement blafard. Aurait-il eu peur ou était-ce l’éclairage impersonnel et glacial de l’UEWA qui lui donnait cette apparence fantomatique ?

« La faune ou la flore ne présentent aucun risque pour cet appareil. Vous ne croyez tout de même pas que nous voyageons dans vos antiquités volantes ?, confirma DIUUL avec ce qui ressemblait bien à un sourire sur les lèvres.
- Et on va traverser tout l’océan comme cela.
- Oui, c’est plus discret. Il semblerait que les capteurs de vos combinaisons enregistrent un taux de sudation intense. Vous devriez passer dans la cabine de désinfection.
- Mais on n’a plus aucune intimité ici, ma parole !, rétorqua Lark.
- Si justement, nous sommes amenés à partager intimement quelques mètres cubes d’espace. Et je ne tiens pas à profiter de vos effluves corporels, rétorqua DIUUL. Direction la douche et pressez-vous.»

Je ne sais pas trop pourquoi Lark et moi obtempérâmes si vite. Était-ce la honte, la gêne, une façon d’échapper à la vue de celui que nous avions envie d’étrangler sur place ? Toujours est-il que nous nous engouffrâmes penauds, chacun notre tour dans la minuscule cabine de douche, si on peut appeler cela une douche.
Les ummites sont des personnes tout à fait agréables tant qu’on n’a pas à les supporter...

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